Il
y a une dizaine de jours maintenant le public dakarois découvrait
Qui
a dit que c'était simple
(de
l'anglais Who
Said It Was Simple),
le premier acte d’un cycle d'un an intitulé Libertés
individuelles,
initié par le centre RAW
MATERIAL COMPANY.
Avec
cette exposition, la notion de l'art comme dimension de la vie
sociale prend tout son sens. Qui
a dit que c'était simple
est
conçue
pour faire réfléchir et non pour séduire. Plus que les regards, ce
sont les esprits que la jeune commissaire de l'exposition, Eva Barois
De Caevel (diplômée de l'université Paris Sorbonne en Histoire de
l'art contemporain et membre du collectif Cartel de Kunst) cherche à
capter. La jeune femme s'est inspirée de l'univers des médias pour
interroger la situation actuelle, au Sénégal et plus largement en
Afrique, du traitement des minorités sexuelles.
C'est
ainsi qu'une centaine d'articles de presse, du matériel audiovisuel,
des cartes, des extraits de code pénaux, ainsi que de nombreux
ouvrages ont été mis en perspective et en espace afin de
questionner le traitement de l'homosexualité sur le continent
africain et poser une question plus que fondamentale : comment
défendre les droits humains et retrouver une structuration à
laquelle la société puisse adhérer quand les conceptions des
libertés individuelles, notamment en matière de sexualité, sont
déterminées par un héritage historique complexe mais aussi par les
formes contemporaines de conditionnement ?
Sorti des mondanités du
vernissage nous sommes retourné voir l'exposition afin d'en profiter
pleinement et d'échanger avec Eva.
Eva Barois De Caevel |
Ce
qui frappe quand on parcoure la frise composée de coupures tirées
de la presse locale, allant de 2003 à 2013, c'est la violence des
mots. « En une décennie la situation n'a pas évolué au
Sénégal en ce qui concerne les minorités sexuelles, les propos sont
toujours aussi virulents », nous fait remarquer la commissaire
d'exposition. Autre élément venant appuyer ce constat une fresque
sur papier kraft (prêtée par une ONG de la place) réaliser dans
le cadre d'un atelier ou les participants devait inscrire les
premiers mots qui leur venaient à l'esprit lorsqu'on évoquait le
mot homosexualité.
Deux visiteurs devant les coupures de presse lors du vernissage |
Les réactions dans la presse et
dans toutes les couches de la société sénégalaise, lorsque Barack
Obama évoque la question de la dépénalisation de l’homosexualité,
à l'occasion de son discours dans le cadre de sa visite officielle,
témoignent également de la radicalisation de l'opinion sur la
question.
À
en juger par le traitement de l’information sur les minorités
sexuelles par la presse sénégalaise et le statut juridique des
homosexuels au Sénégal et dans la majorité des pays africains, on
pourrait penser que les minorités ont toujours étés rejetés dans
les sociétés africaines. Pas totalement vrai nous répond Eva
Barois De Caevel, « les homosexuelles étaient intégrés dans
la structure de nombreuses sociétés africaines par exemple au
Nigeria, dans l'ethnie Igbo, les femmes célébrait un mariage
lesbien qui était parfaitement admis. La radicalisation est semble
t-il apparue avec la colonisation mais aussi avec la christianisation
et l'islamisation des populations ». Des ouvrages et extraits
d'articles publiées dans des revues universitaires évoquent cette
tranche d'histoire aujourd'hui occultée et sont exposés dans une
vitrine, tel que Male
Daughters, Female Husbands,
un livre d'Ifi Amadiume, chercheuse Nigériane ou encore des textes du
professeur Niang de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar.
L'Afrique
est t-elle donc peuplée d'hypocrites ou de schizophrènes ? On
peut se le demander tant les paradoxes sont nombreux, ainsi en
Afrique du Sud le mariage homosexuel est légalisé mais les
agressions, voire les meurtres de personnes issues de cette minorités
continuent, alors qu'au Sénégal où l'homosexualité est
pénalisée, nombreuses sont les personnes qui affichent au grand
jour leur orientation sexuelle sans être inquiétées.
«
Qui
a dit que c’était simple
est un programme critique ouvert. Il n’entend pas imposer un point
de vue, mais plutôt poser un débat auquel les sociétés africaines
ne peuvent se soustraire » peut ont lire à l'entrée de la
salle d'exposition. C'est vrai ! Et le sujet est traité de
façon plutôt juste, bien que quelque peu consensuelle.
Le
titre de l'exposition est emprunté à un poème d'Audre Lorde (1934
-1992), auteure activiste africaine-américaine : une figure
importante qui a traité de la discrimination et de la
marginalisation dans ses essais et poème.
Dans
le prolongement de l'exposition RAW MATERIAL propose une
programmation de films qui a démarrée le 13 février avec un
documentaire de Dagmar Schultz qui revient sur les années passées
par Audre Lorde à Berlin et se termine le 5 mars par une prestation
de Issa Samb intitulée La
Mariée.
Si la programmation est plutôt pertinente, elle se limite à montrer
des films traitant uniquement de l’homosexualité sous l’angle
des discriminations et stigmatisations que subissent les personnes
noires homosexuels-les et contre lesquelles ils et elles se battent. On regrette que des films plus récents traitant de la
question sous un angle nouveau, à la manière de l 'écrivain et
réalisateur marocain Abdellah Taïa dans son long métrage « L'armée
du salut » (une adaptation de son troisième roman éponyme
publié en 2006), n'aient été intégrés.
Et
l'art dans tout ça ? Eh bien Qui
a dit que c'était simple
n'est qu'un prélude, un travail de documentation indispensable avant
le deuxième acte de Libertés
individuelles,
une exposition intitulé Precarious
imaging, Co-commissariée
par Ato Malinda qui se tiendra pendant la Biennale Dak'art 2014. Vous
y découvrirez les œuvres de Zanele Muholi, Kader Attia, Andrew
Esiebo, Jim Chuchu et Amanda Kerdahi M.
QUI
A DIT QUE C'ÉTAIT SIMPLE
Jusqu'au 29 mars à RAW MATERIALCOMPANY
Villa 4074 bis Amitié 2
Dakar-
Sénégal
Par Carole DIOP
Par Carole DIOP
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